Assise au bord du Cap de Bonne espérance.

Au bord du bout du bout, du bout du monde.

Tout le poids de l’Afrique derrière mon dos et de l’Europe au-dessus du sien.

Le poids de l’Histoire aussi, noyé dans ce bleu où sont passés les premiers tours du monde. Le Cap de Bonne Espérance, atteint, franchi, après des semaines, des mois en mer, j’imagine les cris sur le pont.

Deuxième contact avec l’Afrique du sud, après la bulle de magie, préservée mais si petite, du parc national Kruger.

A l’extérieur la réalité en noir et blanc est plus difficile à saisir, surtout en si peu de temps. Je n’essaierai donc pas de la décrire.

La côte est belle et l’horizon. Pierre, air, eau, bruit du vent, bleus qui se rejoignent quelque part sans qu’on sache bien où. La côte est belle, comme toutes les côtes. On est à la pointe du monde, on pourrait être ailleurs, dans les calanques peut-être, cette mer pourrait être n’importe quelle mer, ce sud ressemble au nôtre.

Je suis au bout du monde et cela ne veut rien dire puisque la terre est ronde. Chaque lieu est au centre, pas de fin où tomber si l’on va trop loin. Pas d’autre risque, en allant toujours tout droit que celui de revenir à sa base.

Dans trois jours nous retrouvons Margaux et Valérian, dans deux semaines Charlotte et Rémi, dans six semaines la France, dans huit le travail. Autant dire demain. C’est terrible cette vitesse, cette fin programmée après dix mois de voyage.

Question régulière de ceux que nous croisons : depuis quand voyagez-vous ? Et l’échange de regard systématique entre nous, la mise au point de plus en plus longue, plus douloureuse ces derniers temps : un mois, trois, six, sept, neuf…

Un an, arrondissons. Tant de choses vues et vécues ! Terrible, comme tout parait déjà si loin.

Nous avons appris des langues, des attitudes, des modes de vie. Je suis toujours la même mais le voyage a permis à certaines de mes branches de s’étendre, de prendre le dessus. J’en sors (Non ! Pas encore ! Non, pas encore.) renforcée dans mes choix, dans mes pensées, mes points de vue, mes désirs, mes actes aussi j’espère.

Le regard en arrière m’entraine en avant.

Et maintenant quoi ?

Retour dans le même lieu, le même travail, le même rythme surtout. Il faudra mettre en place les rêves au quotidien avant de les oublier.

Qu’est-ce que je veux changer ? Qu’est-ce qu’il faut changer ? Quel est le plus urgent ?

Bien sûr, nous n’y sommes pas encore, il nous reste toute la Namibie entre amis ! Le meilleur pour la fin ? Six semaines, pour beaucoup c’est le temps de vacances d’une année entière, de six pour des indonésiens.

Bien sûr, l’idée du retour est partie avec nous, impossible à quitter. Elle a fait son nid dans un coin en attendant son tour. On s’y prépare, on l’imagine, on l’attend aussi parfois.

Bien sûr j’ai hâte de revoir les visages auxquels je pense en souriant, hâte d’enseigner, hâte de retrouver, recréer plutôt un chez-nous mais ça risque de ne pas être pour tout de suite. Il va d’abord falloir prendre le pli, le rythme, le train en marche, se remettre à courir… On verra bien. Ça aussi, apprentissage du voyage : on verra, un pas après l’autre, on inventera bien une solution.

Bien sûr j’ai pris conscience qu’il faut rester au même endroit pour bâtir quelque chose, agir à son échelle et j’ai envie de m’y mettre, de me retrousser les manches. Encore une chose à ne pas perdre de vue une fois dans le train même si le paysage défile à toute allure.

Bien sûr qu’il y en aura d’autres, des voyages. On a déjà des noms en tête, des idées de ce qu’on fera pareil et différemment. C’est si facile, aujourd’hui, le voyage ! Nous ne sommes plus au temps des caravelles et du scorbut, il suffit de franchir le cap.

Mais il va falloir s’arrêter un temps ( souffler ça je n’y crois pas), faire le plein d’argent, de famille et d’amis.

Margaux et Valérian sont dans l’avion, le prochain message sera le leur. Ah non, ça y est, ils sont sur le même continent que nous, dans le pays voisin, déjà au rendez-vous. C’est la dernière ligne droite, le dernier continent, mon préféré je crois, du moins quand il est sauvage et libre, plein de cette beauté puissante et calme.

Une dernière grande glissade et c’est la France en hiver.

Ne surtout pas oublier les bonnes résolutions. J’ai bonne espérance.